Aménagement

MJ avait effectué un travail fabuleux dans le salon de la demeure. Cette pièce auparavant inoccupée et austère ressemblait désormais à un cocon où il allait faire bon vivre. La jeune Mei avait fait un large sourire en observant l'état du salon : Cependant, une ombre obscurcissait son esprit depuis quelques jours déjà. Elle avait apprit que son père avait envoyé ses sbires pour la ramener au pays. Il paraissait qu'un prince s'était éprit d'elle en apprenant l'histoire de sa fuite rocambolesque... Il offrait une dot inimaginable à la famille de Mei, si cette dernière revenait pour se faire épousailler.

Mei faisait les cent pas dans la pièce, tenant fermement une lettre entre ses mains. Un ami passeur la lui avait remise la veille : Il avait réussi à intercepter cette lettre à un des sbires du père de la jeune fille et l'avait recopié à la va vite avant de la remettre à Mei. Cette dernière qui avait d'abord décidé de fuir, était finalement restée pour se réfugier à Pressigny car personne en dehors de MJ, Jean, Henri et elle même, personne ne connaissait l'existence de la demeure.

Elle alla s'asseoir face à la table basse du salon et entreprit de décacheter la lettre, les mains tremblantes. Après quoi, elle soupira un bon coup comme pour se donner du courage et lut ce qu'il y était écrit :

Citation :

Maitre SUN,

En ce jour du 18 Décembre 1458, je vous fait mon rapport hebdomadaire concernant la mission que vous m'avez confié. Mes hommes et moi sommes arrivés à hauteur du Domaine Royal de ce pays. Quelques informateurs nous avaient préalablement dit que la jeune demoiselle Mei Lan se trouvait actuellement dans les parages. Il faut dire qu'avec un physique aussi singulier, elle ne passe pas inaperçue cette petite effrontée! Les gens de ce pays sont tous grossièrement laids et dépourvus d'éducation. Je suis persuadé que nous n'aurons aucun mal à convaincre la jeune maitresse de revenir au pays. Mais il nous faudra lui dissimuler la vérité car sauvage comme elle est, elle ne nous obéira pas si elle apprend que nous voulons la ramener pour la marier au Prince Feng. C'est pourquoi je pense prétexter la mort de votre fidèle épouse .... Me permettez vous d'agir ainsi maitre ?
Nous retournons sur les routes dès ce soir, mes hommes et moi. D'ici la fin de l'année, nous aurons mis la main sur la jeune effrontée, elle ne nous échappera pas. Ceci est la promesse que je vous fait.

Je suis vôtre,
XX

Le visage de Mei était devenu aussi pâle que si elle avait vu un fantôme. Sa tête bourdonnait, son cœur battait la chamade et ses jambes semblaient ne plus lui obéir. Néanmoins, elle voulut se relever afin d'aller jeter la lettre dans la cheminée. MJ ne devait jamais savoir ce qu'il se tramait...

Brusquement, elle sentit les forces l'abandonner. Son corps heurta le sol violemment. Inerte, évanouie, elle avait lâché la maudite lettre. Son esprit errait à des années lumière de là. Qu'allait-elle devenir?

La jeune Mei était étendue sur le sol, évanouie depuis quelques instants. Son esprit semblait flotter au dessus de son corps, elle n'entendait que de vagues échos au loin. Etait ce la voix d'MJ? A demi consciente elle avait appelé faiblement son fiancé pour qu'il lui vienne à l'aide, mais en vain. Elle se sentait défaillir, comme si elle s'enfonçait dans un épais brouillard, sans pouvoir rebrousser chemin.

Soudain, elle crut entendre des pas précipités dans les escaliers. Incapable de bouger, elle était juste consciente du fait qu'il fallait absolument qu'on la trouve. MJ entra finalement dans la pièce et lut la lettre avant de s'apercevoir de la présence de Mei. Il se précipita vers elle et la transporta jusqu'à un fauteuil non loin de là.

Mei se sentait faible, son esprit semblait encore vouloir fuir. Pourtant elle fit de grands efforts, sentant que son amour était auprès d'elle pour la protéger, et après de longues minutes d'errance, elle ouvrit enfin les yeux péniblement. Comme si elle revenait sur terre, elle s'aperçut soudain que sa main lui faisait souffrir. En tombant, sa main avait en effet heurté l'angle de la table basse, aussi une large coupure était apparue.

Dans un dernier effort, elle murmura à son fiancé :

" Ne me quittes pas... "

Après quoi, elle se sentit défaillir à nouveau. Seraient-il à nouveau heureux ensembles un jour?

La jeune fille avait été soulagée de s'apercevoir que MJ s'occupait d'elle comme un chef. Après tout, avoir un médecin comme fiancé, ça pouvait servir! La douleur de la main de Mei était encore intense mais peu à peu, elle sentit que MJ était en train de panser sa plaie qui s'estomperait rapidement.

Elle reprit peu à peu ses esprits et finit par se redresser sur le fauteuil en serrant fort son homme contre elle. De chaudes larmes coulaient le long de ses joues encore pâlies par les évènements. Très vite, elle se rappela que MJ avait probablement vu et lu la maudite lettre. Aussi, elle devint soudain très anxieuse, ne sachant s'il fallait aborder le sujet ou non.

Comme pour détourner la conversation, elle s'excusa auprès de lui, pour avoir été si maladroite en tombant malencontreusement sur le sol. Elle avait prétexté avoir trébuché sur le tapis...croirait-il ses dires? Elle ne voulait surtout pas alarmer son homme avec cette histoire de famille. Même si il était au courant qu'on la recherchait, il n'avait pas encore mesuré l'ampleur du problème, aussi Mei désirait ardemment le préserver de tout cela...

" Mon cœur, tout va bien à présent. Plus de peur que de mal ... "

Son œil fût soudain attiré par la lettre qui trônait impitoyablement sur la table basse. Peut être n'avait-il pas eu le temps de tout lire car il avait été interrompu par la trouvaille de sa fiancée à terre... Le sang de Mei ne fit qu'un tour : Elle se releva d'un bond malgré la tête qui lui tournait encore, s'empara de la maudite lettre et la jeta au feu.

Il savait tout. Mei se rassit nonchalamment sur le fauteuil, dépitée. Qu'allaient-ils devenir si les hommes de son père la retrouvaient? Elle se ferait probablement enlevée sans vergogne et MJ... il pourrait se faire tuer... Le danger était considérable mais envers et contre tout, les deux amoureux avaient décidé de rester ensembles.

" Mais alors que peut-on faire sinon se terrer ici en priant pour que les sbires envoyés par mon père abandonnent les recherches?! Il y a de gros enjeux pour ma famille...Elle serait à l'abri du besoin des siècles durant si je me faisais marier à ce maudit Prince... "

Elle avait beau retourner la situation dans tous les sens, Mei ne réussit pas à trouver une solution qui leur permettrait d'être en sécurité. Seul leur amour pourrait triompher du danger, mais sera-t-il assez fort? Elle regarda sa main douloureuse, comme si cette blessure n'était que la première d'une longue liste...

" Premièrement, il faudrait faire croire à nos amis que nous partons en voyage quelques temps. Ainsi, si les hommes de mon père arrivent jusqu'à Compiègne, ils ne nous y trouveront pas. Au mieux, nos amis les enverront malgré eux sur une mauvaise piste. Quant à nous, j'ai bien peur que nous devions restez au Domaine un temps indéterminé... Je vais demander à Henri de nous livrer discrètement nos affaires personnelles. Jean et lui resteront dans la confidence. Au besoin, je monnayerais leur silence. "

Elle soupira tout en tremblant de ne pas savoir quelle sera l'issue de cette situation dangereuse.

Le ciel commençait à tonner rageusement tandis que MJ exposait son plan à la jeune femme. De grands éclairs zébraient le ciel et une pluie violente s'abattait sur les carreaux sur salon. Est-ce de mauvaise augure? Ne pût s'empêcher de penser Mei. Cette dernière se leva et arpenta la pièce, les bras croisés et le regard sévère.

L'heure n'était plus aux frivolités. Les moments de bonheur insouciant qu'avaient vécus les deux fiancés semblaient désormais bien loin derrière eux. Seul un avenir obscurcit se profilait à l'horizon. Elle se servit une tasse de thé bien chaud, et en proposa une à son fiancé avant de reprendre la parole :

" Ton idée d'envoyer nos ennemis vers le sud est plutôt bonne. Mais saches que dans mon pays natal, les montagnes escarpées font partie du paysage...Alors je suis certaine qu'ils continueront à nous rechercher même dans les montagnes! "

Elle sourit en coin en pensant à ces idiots qui chercheraient en vain la jeune chinoise, au fin fond de la France. A des kilomètres de leur vrai lieu de refuge. Comme ce serait extraordinaire qu'ils tombent dans le piège! Mais rien n'était joué, il fallait encore mentir aux autres habitants de Compiègne, trahir leurs amis et ...

Quelqu'un frappa brusquement à la porte d'entrée. Les coups donnés sur la porte donnaient l'impression que quelque chose de grave allait arriver. Mei lança un regard pétrifié à MJ avant de se ressaisir : Elle masqua sa voix au cas où, et demanda qui était à la porte.

" Maitresse, c'est Jean !! Quelque chose est arrivé au Loup de Monsieur ...Ouvrez vite !! "

MJ avait sommé Jean de vite rentrer au salon leur raconter ce qu'il était arrivé. Le jeune jardinier essoufflé était trempé jusqu'aux os, aussi Mei se hâta d'ajouter une bûche dans le feu pour réchauffer l'atmosphère. Jean ne trouvait pas les mots pour expliquer ce qu'il avait vu, ce qui attisa l'anxiété de MJ.

Ce dernier arpentait la pièce de long en large. De toute évidence, il tenait plus que tout à cet animal. Mei posa une main réconfortante sur l'épaule de son fiancé tandis que Jean reprit la parole :

" Maître, tandis que je m'assurais que les plantes ne seraient pas détruites par la pluie qui fait rage, j'ai ... j'ai soudain vu votre loup allongé sur le sol, tout détrempé par la pluie...Pris de panique, j'ai amené le pauvre animal inanimé dans votre atelier ! Je ne sais guère comment il se porte mais je crois que vous devriez allez voir de suite ce qu'il en est ! "

Le jardinier était conscient que les paroles qu'il venait de proférer, auraient certainement de graves conséquences sur le moral de MJ, aussi Jean laissa échapper un soupir d'impuissance. Mei, quant à elle, sentit son cœur s'arrêter de battre quelques secondes. Après le soulagement qu'elle avait éprouvé en apprenant que le malheur qui était arrivé n'avait aucun lien avec sa famille, elle avait ressentit une immense vague de tristesse pour MJ.

" A l'atelier, vite ! "

Ni une ni deux, elle entraina MJ dehors en jetant par dessus son épaule, des ordres à Jean :

" Apportez nous des linges propres, de l'eau chaude et la trousse médical de MJ !! "